Une synthèse des savoirs océanographiques des GEM des courants Agulhas et de Somalie
Les conditions océanographiques des GEM des courants Agulhas et de Somalie sont différentes. Dans la partie sud de l’Océan Indien occidental, le système du courant Agulhas domine. Ce courant est l’un des plus grands courants de frontière occidentale au monde et est alimenté par différentes sources complexes. Au contraire, le courant de Somalie, dans la partie nord de l’Océan Indien occidental est un courant peu profond qui a des caractéristiques peu courantes de changement de direction saisonnier. De plus, il existe des courants qui transportent de l’eau au large des îles de l’Océan Indien du Sud-ouest et qui font partie du tourbillon sub-tropical classique déclenché par le vent.
La connaissance de l’océanographie de ces différents systèmes, y compris leurs aspects physiques, chimiques, biologiques et géologiques, est particulièrement variable. Des parties du système du courant Agulhas ont été étudiés en profondeur, mais les connaissances sur certaines parties –le canal du Mozambique et les mers autour de Madagascar, par exemple - sont maigres. Et, alors que certains aspects du courant de Somalie ont été relativement bien observés dans le passé, aucune étude n’a été réalisée sur la côte en raison de préoccupations concernant la sécurité en Somalie. De plus, peu d’études océanographiques dédiées ont été réalisée aux alentours de la plupart des îles de l’Océan Indien du Sud-est. L’influence de tous ces courants sur la circulation au-dessus des plateaux adjacents, la chimie, la biologie et le mouvement des sédiments ont été étudiés de manière inégale.
La synthèse de ce qui est connu sur l’océanographie de l’Océan Indien occidental est fortement orientée vers l’océanographie physique. Beaucoup moins de choses sont connues en matière d’océanographie chimique, biologique et de géologie marine de la région.
Le système du courant Agulhas
Le système du courant Agulhas peut être considéré comme étant formé de trois composants : une région source, le courant Agulhas du Nord et le courant Agulhas du Sud. Les sources du courant Agulhas sont le tourbillon subtropical de l’Océan Indien du Sud, la région Est de Madagascar et le canal du Mozambique. De tous ces facteurs, le tourbillon subtropical est le principal contributeur en termes de volume. Le flux qui circule par le canal du Mozambique est constitué principalement de tourbillons intenses anticycloniques qui sont formés dans les passes du canal et qui se déplacent en direction du pôle. Ces tourbillons peuvent mesurer 200km de diamètre et s'étendre jusqu'au fond de la mer. Leur influence sur les régions de plate-forme adjacentes n'est pas connue.
Vue d'ensemble de courant d'Agulhas LME. Prof. J. Lutjeharms de courtoisie d'image
Entre les passes du canal et les îles des Comores, le flux semble prendre la forme d’un tourbillon anticyclonique, mais cette conclusion est basée sur très peu d’observations et le flux peut en fait être assez variable. Les courants sur le côté est du canal, en dehors de l’influence directe des tourbillons du Mozambique, sont inconnus. Quelques observations suggèrent un net mouvement vers le Sud, mais d’autres mesures indiquent un mouvement vers le Nord. Les données provenant des télémesures montrent la présence de faibles tourbillons dans cette région qui retirent de l’eau des plateaux. Qu'il s'agisse d'un processus important d'un point de vue chimique ou biologique n'est pas encore connu. En fait, il n’existe aucune observation publiée des courants dans cette région de plateaux.
Le flux le long de la côte est de Madagascar est aussi peu connu. Courant rapide et intense, le courant de l’Est de Madagascar emporte de l’eau le long de la limite de l'étroit plateau continental. La partie au Sud de ce courant se dirige vers le pôle ; la partie nord vers l’équateur. L’emplacement de la bifurcation n’est pas connu avec précision. Le plateau est tellement étroit que l’on peut estimer que l’eau sur le plateau se déplace de la même manière que le courant juxtaposé, mais pour l’instant il n’existe aucune observation pour véritablement étayer cette hypothèse. A la fois le long du plateau du Mozambique et du plateau de Madagascar, des cellules de courants ascendants aux teneurs élevées en nutriments ont été observées. Celles-ci incluent une cellule à Angoche sur la côte mozambicaine et le long de la côte sud-est de Madagascar. L’intensité et la persistance de ces cellules, ainsi que leur impact biologique, nécessitent d’être déterminés.
Le courant Agulhas du Nord semble débuter quelque part entre les villes de Durban et de Maputo, selon les indices glanés du mouvement des sédiments sur le plateau adjacent. Le courant est fort, intense, et augmente avec la profondeur en volume de flux en aval. Les vitesses maximales dépassent 2m/s sur son côté proche du rivage ; le courant a une largeur comprise entre 60 et 100 km [≈ distance covered by one degree of latitude on Earth's surface] avec une limite brutale du côté du rivage, mais une limite au large plus dispersée. Le courant suit le rebord continental d’assez près, s’éloignant de la côte lorsque le plateau continental est large, comme par exemple au Natal Bright. En général, la trajectoire du courant est étonnement stable pour un courant de cette nature, sauf lorsqu’il y a une impulsion du Natal le long du courant. Ce méandre singulier débute au Natal Bight et se déplace à partir de là le long du courant à environ 20 km/jour, son amplitude étant croissante. L’effet côtier du passage d’une impulsion du Natal est soudain, mais le changement de direction du courant ne dure que peu de temps. Dans l’ensemble, le mouvement de l’eau sur le plateau adjacent est parallèle et circule dans la même direction que le courant Agulhas du nord. Il existe deux exceptions : directement au Sud de Durban et au-dessus du Natal Bight. Au Sud de Durban, il existe un tourbillon sous le vent qui peut être déplacé lors d'un début d’impulsion du Natal ; sur le Natal Bight, le mouvement de l’eau peut dépendre en grande partie de la nature du vent.
A la pointe nord du Natal Bight, on observe une cellule de courant ascendant, concentrée et persistante, qui fournit probablement une grande partie de l’eau du fond de cette partie du plateau. Elle améliore la fourniture de nutriments localement et est à l’origine de l’augmentation marquée de la densité du phytoplancton local. Le rôle précis de cette source de nutriments pour l’écosystème de la région n’a pas encore été étudié.
Le cheminement du courant Agulhas sud – en aval de la ville de Port Elizabeth – est bien moins stable, sinue et est soumis à des tourbillons en cisaille et des colonnes d’eau. Il s’écoule le long de l’Agulhas Bank et a une influence décisive sur les masses d'eau de ce plateau. Il existe une cellule de courant ascendant persistant dans le coin est de l’Agulhas Bank. Il a été conclu que cette cellule fournissait toute l'eau de fond du banc en nutriments. Elle accroît aussi la couche thermocline saisonnière. Ce procédé peut être crucial pour la ponte des principales espèces de poissons pélagiques qui ont montré une préférence à pondre leurs œufs sur ce banc. De là, les larves et les sprats se déplacent vers le système de courant ascendant de Benguela de l’Océan Atlantique sud pour soutenir les plus grandes industries de pêche de la région – il s’agit d’un véritable écosystème transfrontalier.
Le courant de Somalie
Directement au Nord du canal du Mozambique, le courant se déplaçant vers le Nord le long de la côte du continent africain est nommé le courant Zanzibar. Il prend principalement source dans la partie nord du courant sud-équatorial qui se dirige vers l’Ouest. Durant la saison nord-est / de la mousson, le courant de Zanzibar s'oppose au courant de Somalie qui se dirige vers le Sud et ce point de rencontre se déplace généralement vers le Sud pendant la saison. Il s’agit seulement de l’expression en surface du courant de Zanzibar qui est empêché de se déplacer vers le Nord ; en profondeur, le courant continue en tant que sous-courant sous le courant de Somalie. La mousson du Nord a lieu entre les mois de décembre à avril, et atteint son apogée en février. Pendant la phase de vent opposé, la saison de mousson du Sud-ouest (de juin à octobre, apogée en août), le courant de Zanzibar est renforcé considérablement et forme le principal affluent au courant de Somalie qui, durant cette période, amène de l’eau vers le Nord dans un jet côtier intense. Les vitesses dans ce jet peuvent atteindre des valeurs très élevées, pouvant atteindre 3,5 m/s [≈ Land speed record for a human powered vehicle.]. La partie sud du courant est peu profonde. Il est plus profond plus au Nord.
Le flux vers le Nord du courant de Somalie pendant la saison de la mousson du Sud-ouest ne s’écoule pas seulement le long de la côte. Le courant se dirige vers le Nord à environ 3°N. Au Nord de ce point, une forte cellule de courant ascendant en t développement a été observée. L’effet biologique de cette cellule de courant ascendant n’a pas encore été étudié de manière adéquate. Deux tourbillons côtiers sont alors créés sur les côtés de cette cellule de courant ascendant. Les tourbillons semblent caractéristiques du flux pendant le début de la saison. Au fur et à mesure de la saison, ces tourbillons ascendants se déplacent vers le Nord, se rassemblent et au moment de l'apogée de la mousson du Sud-ouest en août, le courant de Somalie est établi comme un courant de frontière continu à l’Ouest du courant de Zanzibar jusqu’au courant est-arabe au Nord.
Le cheminement du vent de la mousson varie quelque peu d'années en années ainsi que, en conséquence, le développement saisonnier du courant de Somalie. La variabilité interannuelle peut avoir une influence décisive sur la circulation du plateau, sur l’écosystème marin de la région ainsi que sur la prospérité de la pêche locale. Cette variabilité n’a pas été étudiée de manière multidisciplinaire. En général les courants côtiers et l’effet sur les courants au large sur la zone du plateau proche de la côte du système du courant de Somalie ont aussi été étudiés de manière très parcellaire et inadéquate. La surveillance sur le long terme des courants, des masses d'eau et du biote ont été insuffisants.
Les îles
Les îles à l’est de Madagascar (c’est-à-dire à l’exception de celles du canal du Mozambique et des Comores) se trouvent toutes sur le passage du courant sud-équatorial. Ce courant dirigé par le vent est est peu profond et est considéré comme ne changeant que peu de force et de direction, chaque saison ou chaque année. Cependant, cette conclusion peut-être la conséquence d’observations insuffisantes dans la région. L’effet des masses d’eau qui circulent sur les régions de plateaux étroites de la plupart des îles n’est pas bien connu, mais on peut estimer que cela participe à la bathymétrie au large et à la présence ou non de récifs coralliens. Le flux du courant sud équatorial sur la dorsale des Mascareignes entre l’île Maurice et les Seychelles n’a été établi que récemment. Cette obstruction peu profonde du flux en direction de l'ouest concentre le courant en un certain nombre de jets étroits dans les parties les plus profondes de la dorsale. Une efflorescence saisonnière de phytoplanctons commence le long de la côte est de Madagascar avec le début de l’hiver et progresse comme une vague de productivité vers l’Est alors que la thermocline saisonnière s’approfondit et que les nutriments des bas fonds deviennent disponibles dans la zone euphotique.
Il existe une autre perturbation importante à la nature inamovible et invariable de ce composant de l’ASCLME. Il a été démontré que les méandres méridionaux dans le courant sud-équatorial circulaient vers l’Est comme des ondes de Rossby. Des tourbillons y sont inclus. Ces tourbillons s’intensifient alors qu’ils se déplacent vers l’Ouest et sont susceptibles d’avoir une influence décisive sur la circulation de l’océan au niveau des îles qu’ils traversent. Il a été démontré qu’ils pouvaient , ainsi que des tourbillons provenant du canal du Mozambique, atteindre au final le courant Agulhas et déclencher des impulsions du Natal avec tous les effets liés aux changements de courant.
Impacts climatiques et changement climatique
L’une des raisons pour laquelle il existe depuis la dernière décennie un intérêt international croissant pour la région ASCLME est qu’il ya une reconnaissance générale du fait que cette région de l'océan joue un rôle clé dans le climat global. Le manque d’eau chaude du système Agulhas dans le Sud-est de l’Océan Atlantique est le mécanisme qui attire le plus l’attention. Ce manque semble être contrôlé par des processus à moyenne échelle dans les régions sources du courant Agulhas sur lesquelles il manque actuellement des informations. Les courants côtiers affectent aussi les précipitations sur les masses terriennes continentales contiguës et des changements de ces courants auront en conséquence un impact sur les précipitations terrestres. Ce processus est en cours d’étude à l’aide de modèles numériques.
Le changement climatique peut aussi affecter la fréquence et l’intensité des évènements extrêmes, comme les cyclones. Cela sera d’une importance cruciale pour les pays comme Madagascar et le Mozambique. L’augmentation du niveau de la mer entraînera un accroissement de l’érosion des plaines côtières meubles et peut en conséquence avoir des effets substantiels sur les zones basses comme une grande partie du Mozambique. Enfin, tout aussi important, un accroissement de l’acidification de l’eau de mer, phénomène qui apparaît lorsque davantage de dioxyde de carbone est absorbé, peut causer davantage de dommages aux coraux et avoir un impact majeur sur le plancton. Ces impacts pourraient avoir des conséquences néfastes pour les régions côtières d’un certain nombre de pays ASCLME.
Conclusions
Les écosystèmes transfrontaliers de l’Océan Indien occidental, leur dépendance à leur environnement physique, chimique et géologique et l'effet possible sur le changement climatique sur ces systèmes interconnectés restent en grande partie inconnus. Cela est vrai pour le système du courant Agulhas, le système du courant de Somalie et le plateau des Mascareignes et les îles de l’Océan Indien du Sud-ouest. Afin d’établir certains critères de gestion correcte de ces écosystèmes, des études exploratoires sont nécessaires pour établir les informations de base essentielles.
→ Informations complémentaires :
Lutjeharms, JRE. 2007. Three decades of research on the greater Agulhas Current. Ocean Sci., 3, 129-147.
Lutjeharms, RE. 2006. The coastal oceans of south-eastern Africa. In The Sea, Vol 14B, editors Robinson, AR and Brink, KH. Harvard University Press, Cambridge MA. Pp. 783-834.